• Chapitre 13 : l'Affrontement

    La hyène noire s’arrêta dans un des bosquets qui bordaient la ville et repris son apparence première. Nagalia observa un instant les solides murs de pierre et la grande porte en bois qui protégeaient la cité. Ce serait un jeu d’enfant que de déjouer ces défenses, mais une fois à l’intérieur, elle se ferait immédiatement repérée. Les elfes noirs étant très mal vu, l’alerte serait aussitôt donné et elle ne pourrait espérer chercher des informations…

    La Noire s’assit contre un arbre et réfléchit. Une ville de cette taille devait forcément posséder un mage. Mais elle ne pouvait l’emmener car cela réduirait les défenses de la cité ce qui déplairait fortement à Nathanaël qui lui cherchait des enfants pour pouvoir les former. En revanche, elle devait être contrôlée par un petit seigneur… Lui devait bien être au courant des pouvoirs de ses sujets… Elle n’avait qu’à trouver cette personne. Les humains étant des êtres assez stupides, il habitait surement dans la plus belle bâtisse de la ville, ce qui ne poserait donc aucun problème pour le localiser.

    Maintenant, il lui fallait régler un autre problème : Ne pas se faire remarquer. Après avoir examiné toutes les options qu’elle avait, en vérité très peu, elle se résolu à utiliser ses pouvoirs de métamorphe pour se transformer en humaine. Elle se promit de faire payer cela à Nathanaël pour être obligé de se rabaisser à ces créatures si insignifiante. Nagalia plaçait en effet toutes les races maîtrisant un élément au sommet, sauf les humains, puis tous les animaux jusqu’aux insectes, et enfin les humains. Autant dire qu’elle n’appréciait vraiment pas être obligé de se faire passer pour l’un d’entre eux.

    Mais elle se savait bien obligé… Toujours assise contre l’arbre, elle ferma les yeux et se concentra. C’était la première fois qu’elle essayait d’adopter cette forme et elle ignorait quel en serait le résultat. Le picotement familier des transformations parcouru ses membres pendant de longues minutes. Lorsqu’il cessa, elle ouvrit les yeux. En fait, elle aurait tout aussi bien pu les laisser fermé, car elle n’y voyait absolument rien. Elle pesta en silence, ignorant que les humains avaient une si mauvaise vue. Nagalia se résolu à utiliser le briquet qu’elle transportait toujours au cas où elle aurait un problème de ce genre. Ce qui ne lui était encore jamais arrivé.

    Bientôt, un petit feu flambait joyeusement et elle espérait que personne ne le remarquerait. Utilisant la Terre, elle fabriqua une sorte de miroir pour voir quelle était désormais son apparence.

    A la lueur des flammes, une jeune femme humaine d’une vingtaine d’année lui renvoya son regard dans la plaque de métal polie. Elle avait la peau sombre, ce qui faisait étrangement ressortir ces cheveux blonds très clairs. Ses yeux noisette étaient légèrement en amande. Nagalia remarqua que son armure était trop grande pour cette nouvelle forme bien plus frêle. En effet, sous sa veste en étoffe très fine se trouvaient plusieurs plaques métalliques protégeants ses point vitaux. Elle poussa un grognement de dépit, n’ayant absolument pas pensé qu’il lui faudrait changer de vêtements.

    Les métamorphes ont une forme qui leur est propre pour chaque race en laquelle ils se changent. S’ils veulent en modifier certaines caractéristiques telles que la taille ou la couleur des yeux, ils doivent rester concentrés dessus tout le temps de la transformation. La jeune elfe savait qu’elle ne pourrait éternellement se préoccuper de la corpulence de sa forme humaine. Elle devrait donc faire avec…

    Elle resserra au maximum les sangles de son armure pour qu’elle ne tombe pas puis s’enroula dans sa cape grise de façon à cacher son sabre et ses dagues. En observant son reflet dans le miroir improvisé, elle espérait être prise pour une voyageuse.

     

    Nagalia sortit du bosquet et se dirigea tranquillement vers la ville. Deux gardes surveillaient les alentours devant la grande porte, mais ils ne lui posèrent aucune question sur la raison de sa venue dans la ville à une heure aussi tardive, ne dédaignant même pas lui jeter un coup d’œil. L’elfe s’en étonna, mais ne se pencha pas sur la question. Les choix des humains lui importaient bien peu et elle avait des futurs mages à trouver.

    Elle remarqua bien vite que la cité était en fête. Les rues étaient éclairées et décorées, les habitants vêtus de belles tenues dansaient sur une grande place… Elle leva la tête vers le ciel, le voyant légèrement pâlir. Dans quelques heures, ce serait l’aube. Intriguée par l’atmosphère de fête de la ville, elle s’arrêta près d’un groupe qui riait fort.

    -Excusez-moi, je suis une voyageuse désirant s’arrêter ici pour la nuit, mais je ne m’attendais pas à trouver la ville si animée… Que ce passe-t-il ?

    -Comment ? s’exclama un jeune homme en la dévisageant. Tu n’es pas au courant que le seigneur Makvor a marié son fils aujourd’hui ? La nouvelle à pourtant fait grand bruit !

    -Puisque tu es ici, profites en pour t’amuser ! ajouta un autre. Il a convié tous les seigneurs de la région à une grande fête dans son palais. Les gardes sont bien trop occupés à en surveiller toutes les issues pour faire attention à nous !

    La métamorphe regarda dans la direction qu’il avait indiquée en parlant du palais. Une grande bâtisse éclairée semblait toiser la ville. Elle reporta son attention sur les jeunes gens qui ne la quittaient pas des yeux.

    -Merci. Ne vous inquiétez pas, je vais bien m’amuser.

    Comme rassurés par ces paroles, ils reprirent leur discussion sans plus lui prêter attention. Nagalia se dirigea vers le palais comme si de rien n’était. Ainsi, la surveillance avait été renforcée… C’était embêtant, mais elle ne pensait pas que cela lui poserait de réels problèmes. Ce qui l’agaçait plus, c’était son armure qu’elle risquait de perdre à tout moment, surtout si les choses venaient à dégénérer.

    Arrivé au pied de la bâtisse, elle observa rapidement les alentours et annula la transformation, retrouvant avec joie une vue et une ouïe perçante. Sa forme humaine lui servirait peut être encore, mais elle n’était pas trop pressée…

    Le mur devant elle n’offrait aucune prise. D’un rouge pâle, il était aussi lisse que du verre et les premières fenêtres, de grandes baies vitrées, étaient à plus de quatre mètres au dessus d’elle. La Noire eut un reniflement dédaigneux. Ils croyaient donc l’impressionner ? L’instant d’après, elle avait disparu et un corbeau prit son envole. Un léger vertige la saisit et elle ne prolongea pas cette métamorphose, reprenant son apparence sur une petite balustrade devant les fenêtres. La pièce était cachée par de lourd rideau et elle ne pouvait voir ce qu’il se passait à l’intérieur, mais cela lui sembla désert.

    Posant sa main contre la vitre, elle se concentra pour que le verre dégage une ouverture. Au lieu de cela, il se liquéfia et coula sur le sol en un tas informe qui semblait curieusement gélatineux. Nagalia haussa les épaules et entra dans la demeure. Ce n’était pas vraiment ce qu’elle voulait, mais ne s’était jamais intéressé à cette matière et le résulta lui convenait parfaitement.

    Suivant son instinct, elle parcouru les couloirs en évitant habilement les gardes. Bientôt, elle fut guidée par de la musique et des éclats de voix. Une fête bruyante semblait organisée dans la dernière pièce, gardée seulement par deux soldats. Sans aucune crainte, elle s’avança vers les deux hommes lourdement armés. Ceux-ci réagirent au quart de tour et pointèrent sur l’intruse leurs épées dangereusement affûtées.

    -Est-ce une façon d’accueillir une envoyée du roi ? demanda-t-elle en les toisant méchamment.

    Ils n’eurent pas les réactions de peur escompté, se contentant simplement de se rapprocher dans une posture de combat. L’un d’eux, la peau presque aussi noire que celle de l’elfe et dont les cheveux ras commençaient à grisonner, prit la parole :

    -Comment as-tu fait pour entrer ici ?

    -Allons, tu ne m’as pas écouté. J’ai dit que Nathanaël, votre roi à tous, m’avait envoyé. Et il n’est pas d’endroit sur cette terre ou il ne puisse étendre son pouvoir. Ce château lui appartient tout comme cette ville. Et par conséquent, je peux y entrer comme je veux… Maintenant laissez moi passer, j’ai un message pour Makvor. A moins que vous ne préféreriez m’affronter ?

    -Jamais ! s’écria le plus jeune, un petit blond qui ne devait avoir plus de vingt ans. Ceci est notre citée et nous la protégerons de tout ! Même du traître !

    Le vétéran ne dit rien, mais semblait évident qu’il était d’accord. Un sourire cruel étira les lèvres de la métamorphe. Enfin un peu d’action.

    -Et bien, attaquez moi si vous pensez que votre force est supérieur à la mienne, si vous n’avez pas peur d’agoniser pendant de longue minute avant que, dans un élan de pitié, je ne vous tranche la gorge pour abréger vos souffrances.

    Elle dégaina son sabre dans un chuintement métallique à faire grincer des dents.

    -Allez, venez donc chercher celle qui vous défit ! A moins que… vous n’osiez pas attaquer une femme, fusse-t-elle une elfe noire ? C’est cela ? Vos règles de chevalerie vous en empêchent ? Ou peut être n’êtes vous que des lâches…

    Le plus jeune perdit son sang froid et se jeta sur celle qui osait le défier. La haine que Nagalia lut dans ses yeux verts la fit jubiler. Elle se décala nonchalamment pour éviter un coup d’épée qui l’aurait décapité, se baissa légèrement laissant la lame passer au dessus de sa tête, recula d’un pas pour ne pas être éventré… De toutes les attaques ou feintes que tenta le soldat, aucune ne la toucha, aucune ne réussit à l’effleurer. Et elle ne s’était pas encore servit de son sabre.

    - Dis-moi mon petit, as-tu vraiment l’intention de te battre ou essaies-tu une quelconque danse ? Peut être es-tu soul ? Mets-y un peu plus de cœur, je commence à m’ennuyer.

    A cet instant, l’homme à la peau sombre porta un coup hors de son champ de vision. Il se déplaçait avec une surprenante agilité pour quelqu’un de son âge, mais il ne pourrait jamais rivaliser avec la vitesse des elfes. Le tintement clair de deux lames s’entrecroisant résonna dans tous le couloir.

    -Bien joué papi ! Je ne pensais pas que tu pouvais encore te servir d’une épée. Mais malheureusement, ce n’est pas assez pour me vaincre, loin de là.

    -Tais-toi démon ! Tu n’es qu’un serviteur du traître, un pantin entre ses mains, qui ne lui obéis que pour éviter la mort ! Que connais-tu donc du courage de ceux qui veulent protéger ce qui leur est cher ?

    La métamorphe sourit et se dégagea pour éviter un nouveau coup du blondinet qui s’acharnait alors qu’il n’avait aucune chance.

    -J’aurais beaucoup de chose à répondre à cela, dit-elle en bloquant facilement l’épée de son assaillant. Tout d’abord, je ne suis pas un démon, simplement une elfe dont la peau est noire comme la tienne est noire par rapport à la majorité des humains. Ceux de mon peuple sont rares et ne quittent rarement le pays.

    Elle s’arrêta pour donner un violent coup de pied au garçon qui commençait sérieusement à l’agacer.

    - Ensuite, tu me traite de serviteur, de pantin, pour Nathanaël. Tu es bien loin de la vérité. Je fais partie des généraux et je n’accepte que les missions qui me conviennent. C’est également de mon propre chef que je l’ai rejoins. J’aurais très bien pu rester à Eäsma, royaume des elfes.

    De plus en plus énervé par les attaques dérisoire du jeune homme, Nagalia se retourna et sa lame siffla, trop rapide pour pouvoir la suivre des yeux. Il y eut une fontaine de sang… et le hurlement terrible que poussa le soldat en serrant son bras contre lui. Bras qui s’arrêtait désormais au poignet.

    Son compagnon rompit le combat pour l’aider, mais l’elfe l’attaque de nouveau, l’obligeant à reculer.

    -Je n’ai pas finit, après, je vous tuerais. Crois-tu vraiment que je lui obéis pour éviter la mort ? Je suis une elfe métamorphe. Un humain, quelque soit son rang, n’a aucune chance contre moi. C’est Nathanaël qui doit faire attention à lui et à ce qu’il me demande. Car il sait que je peux le tuer dès que l’envie m’en prend et qu’il ne pourra rien faire pour m’en empêcher.

    Elle accula l’homme contre le mur et reprit dans un souffle menaçant.

    -Tu parles du courage de protéger ce qui est cher à nos yeux. Mais il faut mieux être réaliste que courageux. Se jeter sur la mort n’est pas la bonne façon de la vaincre. Tu crois que je ne connais pas ce besoin impérieux de protéger ce en quoi je crois ? Oh que si, je l’ai connu… et voilà ce que j’en aie appris : chaque être à une vie qu’il doit mener comme il l’entend et être capable de faire face à n’importe quelle situation, sans dépendre des autres. N’y laisser d’autre dépendre de lui. Car des vies, nous n’en avons qu’une. Et elle ne vaux ni plus ni moins qu’une autre. C’est pourquoi il faut vivre la sienne.

    Le tranchant de sa lame entailla délicatement la gorge du garde qui n’osait plus bouger, y dessinant d’étranges dessins sanguinolents.

    -Quel dommage d’avoir gâché sa seule vie ainsi… Je ne vais malheureusement pas te laisser le temps de réfléchir à mes paroles. Adieu…

    D’un geste brusque, l’arme sépara la tête du reste de son corps. Le cadavre s’affaissa, tachant de vermeil les dalles marbrées. Le jeune homme choisit cet instant pour se venger. Il fut désarmé d’un simple mouvement du poignet et Nagalia lui faucha les jambes, le faisant tomber à la renverse. Au même moment, la porte s’ouvrit à la volée, laissant place à un homme d’un âge avancé dont même les habits de velours rouge ne parvenaient pas à masquer sa maigreur inquiétante. Il la fixait de ses yeux noirs vide d’expressions, ne semblant pas se soucier des autres personnes, de toute évidence des nobles, qui se massaient d’un air apeuré derrière lui.

    La Noire ne leur prêta aucune attention et s’adressa au garde survivant :

    -Tout comme je l’ai dit à ton compagnon, c’est de ta propre vie dont tu aurais du te soucier. Car elle se termine ici.

    Sans aucune hésitation, elle lui trancha la gorge. Le hurlement horrifié qui lui parvint la ravit. Elle essuya tranquillement sa lame, mais la garda en main, puis se dirigea vers le seigneur qui ne laissait transparaitre aucunes émotions sur son visage ridé.

    -Je viens de la part de votre roi. Sur son ordre, vous devez me remettre les enfants aillant une affinité particulière avec leur élément. Donnez-moi les registres, je me débrouillerais.

    -Et qu’allez-vous en faire ?

    La métamorphe fut surprise que la voix de Makvor ne tremble pas. Derrière lui, ses invités avaient encore reculés. Sauf une jeune femme aux belles boucles blondes qui la fixait avec haine de ses yeux gris acier. Nagalia fronça les sourcils, se demandant ou elle avait déjà vue ce regard…

    -Ce que le roi à prévu pour eux ne vous concerne pas.

    -Je refuse.

    Un sourire cruel étira ses lèvres noires.

    -Tu sais que je devrais te tuer pour ton refus… Mais j’ai une bien meilleur idée…

    Elle bougea. Trop rapidement pour que ceux présent dans la salle n’ai le temps de réagir. Le tranchant de son sabre se posa sur la gorge de la jeune noble aux yeux gris.

    -Je vais te répéter ma requête, susurra-t-elle, donne moi le registre et je l’épargne. Sinon…

    Sa lame mordit la chaire, faisant couler un peu de sang.

    -Cette femme mourra. Et je continuerais avec chacun des gens présent dans cette salle jusqu’à ce que tu m’ai apporté ce que je t’ai demandé.

    Disant cela, elle avait l’impression de se retrouver devant les paysans, tenant la mère en otage. Ce seigneur allait-il céder ? Toute en repensant aux paysans, elle se rappela de leur peur qui flottait dans leur pauvre demeure comme un nuage nauséabond. Mais cette jeune femme était curieusement calme, ne semblant pas effrayer d’être menacé par une elfe noire qui venait de montrer qu’elle n’éprouvait aucune pitié. Elle ne la suppliait pas, ne tremblait pas et même son rythme cardiaque était calme. Ce fut elle qui prit la parole et la métamorphe tressailli en entendant sa voix:

    -Crois tu vraiment que tu peux m’utiliser comme otage ? Que je ne peux me défendre ? Ne sois pas si sur de toi, car j’ai beaucoup changé Mais peut être ne m’as-tu pas reconnue, Nagalia.

    La surprise figea l’elfe pendant plusieurs secondes. Se reprenant, elle tira brusquement les cheveux de sa victime. La perruque lui resta dans les mains, dévoilant une chevelure brune.

    -Shilaï…


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