• Eram les menaient vers un amoncellement de roches surmontées par quelques arbres. Laissant sa monture suivre le groupe, Shilaï avait lâché les rênes, et encoché une flèche. Derrière elle, Valgaril avait fait de même. A côté, Dazgan tenait fermement sa lance en scrutant les hautes herbes. Les feulements et grognement des tigres les encerclaient. Personne ne parlait, se concentrant sur ces quelques bruits perceptibles à travers le martèlement des sabots. La moindre seconde d’inattention, et ils étaient morts. Shilaï en venait à souhaiter que les félins passent à l’attaque, pour les libérer de cette attente angoissante.

     Leur salut se dessinait sous la forme d’une petite butte à une centaine de mètres. Un instant, ils crurent qu’ils atteindraient ce terrain boisé ou les tigres ne s’aventuraient jamais. Mais ils passèrent à l’attaque. L’un d’entre eux bondi  sur le monture du Comte qui se cabra pour l’éviter, manquant de désarçonner son cavalier. Les nerfs à vifs, tous les chasseurs réagirent en même temps : Shilaï et Valgaril décochèrent une flèche, Dazgan jeta sa lance, et tous les autres combinèrent leurs éléments pour repousser l’attaque. Blessé, le tigre se retira en boitant avec un feulement de colère.

     Mais alors que tout le monde était concentré sur une seule cible, un autre prédateur s’en pris au dernier membre du groupe. Malgré ses réflexes, l’elfe ne put éviter la charge et tomba a terre, immédiatement cloué au sol par un autre tigre. Un mètre au garrot, le pelage noir strié de rayure blanche, il  grondait en direction des chasseurs qui n’osaient plus faire un geste, de peur qu’il arrache la tête de leur compagnon.

     

     Une seconde passa, qui sembla durer des heures. Deux autres tigres s’approchèrent, mais ils ne firent pas mine d’attaquer. Ils voulaient une proie, ils l’avaient eu. Le reste dépendait du bon vouloir des Chasseurs. 

     Soudain, celui qui maintenait l’elfe au sol fit un bond en arrière. Aussi stupéfait les uns que les autres, les hommes et les tigre le virent se relever, la main plaqué sur son œil gauche, le visage maculé de sang. Des arabesques irradiant une lueur bleutée se traçait sur sa peau tendit qu’il faisait face aux félins. Ceux-ci semblaient a présent terrifiés. L’un d’eux grogna, et l’elfe aboya un mot inconnu aux chasseurs. Aussitôt, les tigres firent demi-tour et disparurent dans la plaine. Valgaril se retourna vers ses compagnons, les motifs bleus disparaissaient doucement. Il eu un pâle sourire et s’effondra. Les Chasseurs sortirent de leur ébahissement.

     Avec l’aide de Dazgan, Logan installa l’elfe évanoui à l’avant de sa monture, puis ils se remirent en route. Sans qu’ils ne comprennent pourquoi, tous les animaux semblaient s’être éloignés. 

     

     Il ne leur fallut que quelques minutes pour arriver au repère. Au sommet de la butte, nommée le Rocher de Damar, le toit en pente d’une maison émergeait de terre, entouré par les arbres. Les refuges des chasseurs étaient tous construits sur le même model : L’abris devait être assez spacieux pour une dizaine de Chasseur ainsi que leurs montures, mais également pour entreposer leur provisions, la viande et les peaux de la chasse. Creusé à environ trois mètre de profondeur, seul le toit en pente dépassait, permettant à la neige de ne pas s’accumuler. La première moitié de l’habitation était réservé aux chevaux. La deuxième partie, construite en demi-cercle, était pour les Chasseurs. Cinq petites alcôves sur les côtés servaient de chambre. Elles étaient délimitées par de lourdes tentures en peau, qui donnaient un semblant d’intimité. Le centre de la pièce était une salle commune, au milieux de laquelle brulait presque en continu un grand feu. La nourriture était entreposée au froid, dans une pièce annexe, et les peaux, une fois traitées, s’empilaient au fur et à mesure dans la salle commune.

     Arrivés devant le refuge, les Chasseurs mirent pied à terre. La lourde porte en bois était fermé, et semblait encore en parfait état. Inori posa sa main contre le battant et fit jouer le mécanisme pour l’ouvrir. Simple, mais efficace, et nul besoin de clef.

     Azaëlle fit danser quelques flammes au bout de ses doigts et ils entrèrent, suivit de leurs chevaux. Une pente douce permettait de descendre. L’intérieur non plus, ne semblait pas avoir subit de dommage. Le groupe poussa un soupir de soulagement et chacun se mit au travail malgré les épreuves de la journée. Azaëlle jeta quelques buches de la réserve dans le foyer et alluma un feu pour éclairer l’ensemble du refuge. Logan et Vyx déposèrent Valgaril, toujours inconscient, sur le sol en terre battue et examinèrent rapidement ses blessures. Ils virent immédiatement qu’ils ne pourraient pas sauver son œil. Les griffes du tigre lui avaient ouvert toute la partie gauche du visage. Pendant ce temps, Eram et Naoki étaient ressortis chercher du bois. Shilaï, Inori et Dazgan s’occupaient des chevaux. Ils trouvèrent quelques ballots de paille encore sec et la rependirent au sol, avant de donner du grain et de l’eau aux bêtes fatiguées. Les chasseurs les dessellèrent et retournèrent dans la salle commune, laissant les chevaux se reposer. Une simple corde tendue délimitait les deux parties.

     Chacun ayant fini les taches qu’ils s’étaient rapidement assignés, ils se retrouvèrent autour du feu. Laissant Logan s’occuper des blessures de Valgaril, le vampire était aller ouvrir le conduit qui servait de cheminé. Il était encore un peu noir de suie, mais au moins, ils ne mourraient pas enfumé cette nuit. Ils se rassasièrent rapidement avec la viande des gyans que Naoki avait dépecé. Chacun fixait les flammes en silence, mais les regards déviaient souvent sur l’elfe encore inconscient. Au bout d’un moment de silence devenu pesant, Inori se tourna vers Vyx :

     - Qu’est-ce qu’il s’est passé tout à l’heure ?

     Tout le monde savait de quoi elle parlait. Le vampire se contenta de hausser les épaules.

     -  Aucune idée. Il y a beaucoup de chose que nous ignorons sur les vieilles magies…

     - Tout de même… Cela fait quelques années que nous le connaissons, il est déjà venu chasser pendant la saison chaude, mais jamais rien de tel ne nous est arrivé… Toi qui es son ami depuis longtemps, tu n’aurais pas une idée sur ce phénomène… étrange ?

     - Non, répondit-il laconiquement.

     Un nouveau silence s’installa.

     - Les magies perdues existaient durant l’Âge Noir, intervint Eram. Vu la longévité des elfes, il est possible que certaines aient survécu parmi ce peuple…

     - Le plus simple serait peut être de lui poser la question, marmonna sa fille.

     - Je doute qu’il y réponde, sourit Dazgan. On a beau le connaître depuis quelques années, il ne nous a jamais dit grand chose sur lui.

     Comme si cela annonçait la fin de la discussion, les Chasseurs se levèrent et se dirigèrent vers leurs alcôves. 

     - Je prends le premier tour, annonça Shilaï.

     Elle était exténuée, mais savait qu’elle ne pourrait pas s’endormir tout de suite.

     - Que fait-on pour Valgaril ? demanda Azaëlle.

     - On devrait éviter de le déplacer jusqu’à ce qu’il reprenne connaissance.

     Shilaï hocha la tête et s’installa à côté du feu qui baissa doucement, fermant les yeux pour mieux écouter les bruits de la nuit.

     

     Une vingtaine de minutes plus tard, alors que les autres chasseurs dormaient à poings fermés et que du feu ne restait plus que des braises, Valgaril remua. Shilaï ouvrit les yeux, et attendit qu’il reprenne totalement connaissance. Il porta la main au bandage qui lui entourait une partie du visage, palpant précautionneusement le vide laissé par son œil gauche.

     - Tu devrais éviter d’y toucher pour le moment, intervint la jeune fille. 

     Il marmonna quelque chose et son bras retomba mollement à côté de lui.

     - Qu’est-ce qu’il y a ?

     - Je disais : Des siècles passé à guerroyé sans la moindre blessure sérieuse, et je me fais arracher un œil par un simple tigre… Ça me servira de leçon, vos montagnes sont tout aussi dangereuses qu’un champ de bataille.

     Shilaï hocha la tête, mais ne parvint pas à poser la question qui lui brûlait les lèvres. Valgaril sembla s’en rendre compte, car il tourna la tête vers elle, la dévisageant de son œil unique.

     - Tu voulais me dire quelque chose ?

     - Comment as-tu… Enfin, qu’est-ce que tu as fais tout à l’heure ?

     L’elfe garda le silence pendant un long moment.

     - C’est une forme de contrôle de l’esprit des bêtes, dérivé de la magie des invocateurs. Eux enchaines les bêtes en leur imposant une loyauté sans faille. Moi je leur imprime une peur irrationnelle dans l’esprit, les faisant fuir.

     Nouveau silence.

     - Enfin, oublie ça. Il y a certaines choses dont personne ne devrait se rappeler… 

     - Si tu le dis, marmonna la jeune fille. Mais ça m’étonnerait que mon frère ou mon père te laisse tranquille avec ça. Ils adorent les mystères de la magie…

     - Pas toi ?

     Elle haussa les épaules.

     - Maîtriser mon élément me suffit amplement pour ce que j’ai à faire. Je ne vois pas l’utilité d’apprendre par cœur une langue dont seul les mages se servent encore. Je préfère simplement me perdre dans les bois, suivre les pistes et écouter les Elgaris.

     - Et dangereuses comme elles sont, ne crois-tu pas que la puissance des éléments est nécessaire ?

     - J’ai plus le réflexe de tirer une flèche ou un couteau, plutôt que d’utiliser mon élément.

     Chacun retourna à ses pensés, puis l’elfe se leva en chancelant.

     - Tu as besoin d’aide ? s’inquiéta Shilaï.

     - Ça ira. Je te laisse à ta garde. Il faut que je me repose.

     - En effet, tu n’as pas l’air très en forme…

     - Foutue magie, grogna Valgaril en se détournant.

     Il écarta la lourde peau qui masquait l’entré d’une alcôve vide, et la jeune fille l’entendit s’affaler comme une masse sur la paillasse. Elle grimaça, désolé pour lui. Le début de la chasse avait vraiment été éprouvant cette année, elle espérait que la saison froide serait plus tranquille.

     Une heure plus tard, Azaëlle vint prendre sa place. Shilaï s’allongea sur la couverture qu’elle avait étendue à même le sol dans l’alcôve qu’elle partageait avec Vyx. Elle était trop lasse pour mieux s’installer. Le lendemain, la Chasse pourrait commencer.


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